Les villes au Moyen Age

LE CADRE DE LA VIE URBAINE


Gravure représentant la fondation de Toulouse et la ville telle qu'elle devait être vers 1515. Termine l'ouvrage de Nicolas BERTRAND! « De gestis Tholosanorum » imprimé chez Jean Grandjean en 1515. Archives Municipales de Toulouse - Copyright by Yan.

ANGERS VERS 1150

La cité des Andegaves, établie par l'heureuse initiative de nos prédécesseurs au sommet d'une éminence, est assise au milieu de murs très anciens (1), dont les pierres de taille attestent la gloire de ses fondateurs et accusent la parcimonie des bâtisseurs modernes, et dont le ciment très solide démontre la décadence dans l'art d'utiliser le sable. Une partie de la ville fortifiée par la main des hommes est exposée au sud ; une partie que la nature du lieu rend inexpugnable regarde vers le couchant. Là où le côté ouest rencontre le côté sud, s'élève une très vaste demeure (2), digne de porter le nom de palais... Afin que la cité devenue beaucoup plus spacieuse, puisse contenir le rassemblement de milliers d'hommes (le comte) a mis une colline voisine à la disposition des gens pour qu'ils y habitent. Si nous considérons le sort de ceux-ci, ils vivent dans ce faubourg beaucoup plus heureux que dans la ville. Etant donné la dévotion que, depuis longtemps, cette population manifeste envers Dieu et sa Sainte Église, la mémoire des nombreux saints qui reposent là dans le Christ ne peut qu'être célébrée en ces lieux, et on ne trouverait pas facilement ailleurs tant de maisons religieuses, confiées à de pieuses communautés, couvertes de richesses par la libéralité des princes et observant strictement une discipline régulière. Par ailleurs, pour que la commodité des eaux ajoute à l'avantage du lieu, la noble rivière de Maine coule au milieu des collines... Elle enfle comme la mer en hiver; elle se tarit en été, resserrée entre des rives sablonneuses. Pour procurer un libre passage aux habitants, on a apporté de la terre, du bois et des pierres et le comte a permis de construire au-dessus des eaux des boutiques; ces boutiques sont construites les unes en face des autres et sont situées dans un alignement presque régulier, si bien qu'elles constituent un pont en leur milieu, construit en grande partie en bois, et semblable à une rue, ouverte continuellement aux passants mais inaccessible à Phoebus. Là on trouve ce qu'exige la vie courante et ce que réclame le luxe.

RADULPHUS DE DICETO (vers 1120 - 1203). Ymagines historiarum. Editions William STUBBS. T. I. Londres, 1876 (Rerum britannicarum medii aevi scriptores. 68, I), p. 291-292.

1. Les murs gallo-romains.
2. Le palais des comtes d'Anjou, situé à l'angle sud-ouest de la ville.

UNE VILLE DE PÈLERINAGE : SAINT-JACQUES-DE-COMPOSTELLE AU XIIe SIÈCLE

Entre deux fleuves dont l'un s'appelle le Sar et l'autre le Sarela, s'élève la ville de Compostelle... La ville comporte sept portes ou entrées : la première s'appelle porte de France; la seconde porte de la Peña; la troisième, la porte au-dessous des frères; la quatrième, porte de Saint-Pèlerin; la cinquième, porte des Fougeraies; la sixième, porte de « Susannis », la septième, porte des « Macerelli » par laquelle la précieuse liqueur de Bacchus entre dans la ville.
Dans cette ville, il y a dix églises dont la première est celle du très glorieux apôtre Jacques, fils de Zébédée, qui, située au milieu de la ville, resplendit de gloire... Quand nous autres, gens de France, voulons pénétrer dans la basilique de l'Apôtre, nous entrons par la porte du nord. Devant cette porte se trouve auprès de la route, l'hospice des pèlerins pauvres de Saint-Jacques et là, il y a au bout du chemin un parvis auquel on accède en descendant neuf marches. Au bout des degrés de ce parvis se trouve une fontaine admirable qui n'a pas son pareil dans le monde entier... Au sommet se dressent quatre lions, de la gueule desquels jaillissent quatre jets d'eau pour l'usage des pèlerins de Saint-Jacques et des habitants...
Derrière la fontaine s'ouvre comme nous l'avons dit, le parvis; son pavement est de pierre; c'est là qu'on vend aux pèlerins des petites croix et des coquilles de poissons qui sont les insignes de saint Jacques; on y vend aussi des outres de vin, des souliers, des besaces en peau de cerf, des bourses, des courroies, des ceintures et toutes sortes d'herbes médicinales et d'autres drogues et bien d'autres choses encore. On rencontre aussi sur le chemin de France, des changeurs, des aubergistes et divers marchands.

Le Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle, texte latin du XIIe siècle. Edition et traduction Jeanne VIELLIARD. Mâcon, 2e éd. Protat, 1950, p. 83-97.

LES VILLES NEUVES

Fondation de la bastide de Monségur (1265)

Certaines chartes de fondation de bastide* contiennent des précisions sur le lotissement du terrain et la construction des maisons. C'est à de telles dispositions (qui ne figurent pas toujours explicitement dans tous les actes) qu'est dû le plan régulier de ces nouveaux centres d'habitat.

Voici la franchise (1) qui a été donnée aux bourgeois* et aux bourgeoises de Monségur (2) par la dame Eléonore, duchesse du duché de Guyenne (3). Premièrement nous donnons et concédons des emplacements pour faire des maisons et nous voulons que chaque emplacement ait quatre escats de large — et l'escat est de six pieds — et douze escats de long (4).
Les bourgeois et bourgeoises qui ont reçu un emplacement doivent construire un tiers de leur maison, en commençant par la façade, la première année, un autre tiers l'année suivante, et le reste quand ils le voudront et pourront.
Chaque rue importante de la ville doit avoir quatre escats de large en tous lieux (5)... Et tous les hommes qui seront bourgeois et bourgeoises pourront prendre du bois en quelque endroit qu'ils en trouveront, pour construire leurs maisons et pour y faire d'abord le sol, ainsi que pour faire toute leur vaisselle (6) de première nécessité, sans avoir à payer le droit de fûtage. (7).

Cartulaire municipal de Monségur. Dans : Victor MORTET et Paul DESCHAMPS. Recueil de textes relatifs à l'histoire de l'architecture... T. II. XIIe-XIIIe siècles. Paris, A. Picard, 1929 (Collection de textes pour servir à l'étude et à l'enseignement de l'histoire), p. 291-292.

1. Statut privilégié concédé aux habitants de la nouvelle bastide.
2. Monségur (Gironde), chef-lieu de canton, arrondissement de Langon.
3. Eléonore de Provence, reine d'Angleterre.
4. L'escat est une mesure linéaire, appelée ailleurs lette ou perche. A Monségur, il valait six pieds. Chaque emplacement de maison mesure donc 7,70 m environ sur 23 m.
5. 7,70 m environ.
6. On notera que les ustensiles courants sont en bois.
7. Redevance prélevée à l'occasion d'une coupe de bois.

L'APPROVISIONNEMENT DES VILLES

Difficultés du ravitaillement en blé à Bordeaux, en 1416

Les habitants des villes trouvent sur les marchés et dans le commerce local les denrées qu'apportent les paysans et les marchands. En temps de guerre, la ville coupée de l'extérieur est placée dans une situation critique. En 1416, les Anglais ont recours au blocus pour tenter de réduire Bordeaux.

Séance de la Jurade* du 9 janvier 1416. Attendu que le vin qui croit en nos vignes est notre subsistance et que c'est le revenu dont nous vivons... attendu que dans les pays ennemis et rebelles d'amont et d'aval, a été fait une ordonnance défendant de faire descendre le blé dans cette cité pour que nous soyons affamés, et que la cité et le pays obéissant au roi, notre seigneur, soit détruits, nous ordonnons que nul marchand, ni autre personne de quelque condition que ce soit, ne soit si hardi de descendre ou de faire descendre des vins des lieux ennemis et rebelles après le jour de Noël et temps accoutumé, sinon qu'entre deux tonneaux de vin (il ne cache) une pipe de blé, et entre deux barrique de vin, une barrique de blé.

Traduction dans : Afrégation d'histoire. 1961. Textes et documents d'histoire. Paris. Hachette, 1963, p. 64

LES HALLES

Le comte de Flandre, Thierry d'Alsace, concède la halle communale de Saint-Omer aux bourgeois de la ville et il en fait un lieu d'asile (1151).

Je Thierry, par la grâce de Dieu comte de Flandre... ai donné la terre sur laquelle est située la halle* de Saint-Omer, aux bourgeois* de cette ville, pour qu'ils la tiennent à titre héréditaire et pour qu'ils s'y livrent au commerce. J'ai également concédé que, si quelqu'un se réfugie dans cette halle, de quelque forfait qu'il soit accusé, le juge n'aura pas le droit de mettre la main sur lui dans cet édifice... Nous ajoutons que les marchands étrangers ne doivent pas exposer pour les vendre ou vendre leurs marchandises en dehors de la dite halle ou du marché. Seuls les bourgeois sont autorisés à vendre à la halle, au marché et dans leur propre maison.

Charte de Thierry, comte de Flandre (1151). Dans : Arthur GIRY. Histoire de la ville de Saint-Omer... Paris, F. Vieweg, 1877 (Bibliothèque de l'Ecole des hautes études. Sciences philologiques et historiques. Fasc. 31), p. 378.

FONTAINES ET CLOCHE MUNICIPALES

Charte* d'Edmond d'Angleterre, comte de Champagne, en faveur de Provins (1281).

Comme le maire*, les échevins*, les jurés* et les prud'hommes de la ville de Provins constataient une grande pénurie d'eau dans la ville de Provins... et nous demandaient l'autorisation de faire établir à leurs frais et dépens quatre nouvelles fontaines en ladite ville... il leur est octroyé de le faire... D'autre part, comme ils avaient l'habitude de sonner ou de faire sonner une cloche (1) pour le commun profit de la ville — cette cloche se trouvait dans une église de la ville et sonnait lorsque les ouvriers devaient quitter le travail — ils nous ont demandé de faire une cloche et de la mettre, à l'intérieur de la ville, dans la Tour de Provins ou ailleurs, là où nous jugerions que ce serait le plus profitable pour nous... et pour le commun de la ville, pour sonner l'heure des ouvriers... et le couvre-feu du seigneur; cette cloche serait sonnée par un homme nommé par le maire et les échevins.

Ed. Félix BOURQUELOT. Histoire de Provins. T. II. Provins, Lebeau, 1840, p. 428-429.

1. La cloche municipale ou bancloche sert à convoquer ou à avertir les habitants. Souvent placée dans le beffroi ou dans le clocher d'une église, elle est un des attributs de la commune.

UNE FÊTE A PARIS EN 1267

A la fête de la Pentecôte de la même année (1267), Philippe (1), le fils aîné de Louis, roi de France, fut fait chevalier à Paris, avec tant d'apparat dans la ville et parmi les habitants qu'on ne pourrait trouver, dans les temps passés, une fête célébrée à Paris ou ailleurs avec autant de solennité. Toute la cité fut ornée d'étoffes de soie et de tentures, et tous les hommes des métiers de la ville se revêtirent de costumes neufs faits d'étoffes brodées, de soie et d'autres tissus, conformément aux ordres du prévôt* de Paris.

Chronicon Normanniae. Dans : Recueil des historiens des Gaules et de la France. T. XXIII, p. 218.

1. Le futur Philippe III le Hardi.

PHILIPPE AUGUSTE FAIT PAVER LES RUES DE PARIS (1186)

Comme il (Philippe Auguste) déambulait dans la grande salle, tout en songeant aux affaires du royaume, il s'approcha des fenêtres du palais, d'où il regardait souvent, pour se distraire, le fleuve de Seine. A travers la cité, les charrettes tirées par des chevaux remuaient la boue et soulevaient des puanteurs intolérables que le roi déambulant dans la grande salle ne put supporter. Il forma le projet d'une oeuvre ardue mais bien nécessaire, que tous ses prédécesseurs n'avaient osé aborder à cause de sa difficulté et de la dépense accablante. Ayant convoqué les bourgeois avec le prévôt* de la cité, il ordonna de son autorité royale que toutes les rues et routes de la cité de Paris fussent pavées de dures et fortes pierres.

RIGORD. Gesta Philippi Augusti (1186-1196). Chap. 37. Ed. Henri-François DELABORDE. Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton. T. I. Paris, Renouard, 1882 (Société de l'histoire de France), p. 54.

MESURES DE SALUBRITÉ : CHARLES VI ORDONNE LA DÉMOLITION DE LA GRANDE BOUCHERIE DE PARIS (1416)

Charles, par la grâce de Dieu roi de France, faisons savoir... que, en vue de la décoration et embellissement de notre bonne ville (1) de Paris, et pour empêcher les infections et corruptions nuisibles à la santé engendrées par les immondices de la tuerie et écorcherie des bêtes qui se fait depuis longtemps à proximité de notre Châtelet et du Grand Pont de Paris... nous avons ordonné que certaine boucherie située devant notre Châtelet, appelée la Grande Boucherie de Paris, serait abattue et détruite... Nous qui, de tout notre coeur, désirons veiller au bien, utilité et agrément des habitants de notre dite ville de Paris et à la bonne police et gouvernement de celle-ci... nous avons fait et ordonné les ordonnances qui s'ensuivent : Pour remplacer ladite Grande Boucherie abattue et démolie... seront faites, construites et édifiées à nos frais quatre boucheries particulières en quatre divers lieux de notre dite ville de Paris... à savoir l'une dans une partie de la Halle de Beauvais, l'autre près de notre Châtelet de Paris... la troisième près de notre Petit Châtelet du Petit Pont et la quatrième autour des murs du Cimetière Saint-Gervais. Et lesdites boucheries seront nommées et appelées les boucheries du roi. Pour ce qui est de la tuerie et écorcherie des bêtes, nous avons ordonné et ordonnons, afin que l'air de notre dite ville ne soit plus dorénavant infesté et corrompu par elles, et afin que l'eau de la rivière de Seine ne soit pas infestée par le sang et autres immondices desdites bêtes qui s'écoulaient ou qu'on jetait en ladite rivière de Seine, que toutes les tueries et écorcheries se feront hors de notre dite cité de Paris, à savoir près des Tuileries Saint-Honoré qui sont situées sur ladite rivière de Seine, au-delà des fossés du château de bois du Louvre.

Ordonnance de Charles VI (août 1416). Dans : René de LESPINASSE. Les métiers et corporations de la ville de Paris. T. I. Paris, Imprimerie nationale, 1886 (Histoire générale de Paris), p. 274.

1. Villes du domaine royal les plus importantes par leur population et leurs ressources financières (Paris, Orléans, Bourges, etc.).


Le trompette municipal de Nice vers 1495. (Cette fonction existait depuis 1296.) Archives Municipales de Nice, AA 20.

LA VIE DES RUES

Galeran (1) entre en la ville
Où il entend dix mille destriers
Parmi les rues pousser leur clair hennissement.
Et les chevaliers vont et viennent
Sur des chevaux reposés et frais.
D'autres y jouent aux échecs...
Des valets portent des présents
Aux demeures des jeunes filles
Et des dames vaillantes et belles...
Ici sont plantés des bannières
Et des écus de toutes les couleurs
Sur les fenêtres des tours de pierre...
Certains se sont entendus
Pour joncher les rues de menthe,
Et de joncs verts et de glaïeuls.
Ici sont à vendre des chevreuils
Et des viandes et autres venaisons,
Et il y a grande foison
D'oies, d'oies sauvages et de grues
Qu'on transporte parmi les rues,
Ainsi que d'autres volailles.
On serait vite lassé
De nommer et de dénombrer
Les poissons que l'on vend à l'ombre;
Vous pouvez voir en chemin
Quantité de poivre et de cumin,
D'autres épices et de cire.
Ici ce sont les changeurs rangés en file
Qui devant eux ont leur monnaie.
Celui-ci change, celui-ci compte, celui-ci refuse;
L'un dit : « C'est vrai », l'autre : « C'est mensonge »...
Celui-ci vend des pierres précieuses
Et des images d'argent et d'or.
D'autres ont devant eux le grand trésor
De leur vaisselle précieuse.
Là il y en a vingt, là il y en a cent
Qui montrent des lions et des ours :
Au milieu de la ville, aux carrefours
L'un joue de la vielle et l'autre chante...
Et vous pouvez entendre les cors et les buccines (2),
Et le bruit des couteaux dans les cuisines
Où les cuisiniers coupent les viandes
Et se taillent les meilleurs morceaux.
Il y a grand bruit de mortiers (3)
Et des cloches des monastères
Qui sonnent ensemble par la ville.

Jean RENART. Galeran de Bretagne, roman du XIIIe siècle, éd. par Lucien FOULET. Paris, E. Champion, 1925 (Les classiques français du Moyen Age. 37), Vers 3338-3394, p. 102-104.

1. Héros du roman.
2. Trompe, Trompette
3. Vases en métal sur lesquels on frappait pour faire du bruit,


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